Kaboul dans le viseur de la CPI: Karim Khan requiert des mandats d’arrêt contre deux chefs talibans

Peut-être ignorent-elles, confinées dans l’obscurité de leurs demeures désormais anoptiques, qu’une lueur d’espoir et de justice point à l’horizon de l’Afghanistan. Peut-être apprendront-elles bientôt, par le truchement de confidences chuchotées, qu’elles pourront à nouveau fouler le sentier des droits humains. Oui, les femmes afghanes peuvent enfin entrevoir l’espoir d’une émancipation de « l’apartheid de genre » qu’elles endurent depuis 2021.
Dans une déclaration officielle du 23 janvier 2025, le Bureau du Procureur Karim Khan annonce avoir déposé auprès de la Cour pénale internationale (CPI) – Chambre préliminaire II – deux requêtes visant à obtenir des mandats d’arrêt à l’encontre d’Haibatullah Akhundzada, guide suprême des Talibans, et d’Abdul Hakim Haqqani, Président de la Cour suprême de « l’émirat islamique d’Afghanistan ». M. Khan explique avec précision que « la responsabilité pénale de ces deux ressortissants afghans est engagée pour avoir persécuté des filles et des femmes afghanes, ainsi que des personnes qui ne correspondaient pas à leurs conceptions idéologiques de l’identité et de l’expression de genre et des personnes qu’ils considéraient comme les alliés des filles et des femmes. Ces persécutions ont été commises à partir du 15 août 2021 au moins, et se poursuivent à l’heure actuelle sur l’ensemble du territoire afghan« .
Il convient de souligner que cette requête prend en compte les exactions commises dès l’avènement du régime taliban, soit après la chute de Kaboul le 15 août 2021. Bien que survenant quatre ans après le début des violations des droits humains, cette intervention s’avère judicieusement chronométrée. En effet, le délai écoulé permet la constitution d’un dossier d’accusation exhaustif et irréfutable, renforçant ainsi la perspective d’une justice imminente et inéluctable. À ce jour, les violations des droits suivants ont fondé la demande de mandats d’arrêt : le droit à l’intégrité physique et à l’autonomie corporelle, le droit à la liberté de circulation et d’expression, à l’éducation, à une vie privée et familiale, ainsi que le droit de réunion. Pour une formulation juridiquement plus concise, la déclaration établit explicitement que les accusés encourent une responsabilité pénale « pour le crime contre l’humanité de persécution liée au genre, en vertu de l’article 7-1-h du Statut de Rome« .
Ces deux requêtes revêtent une importance capitale, et ce, pour une triade de raisons. D’abord, elles sont l’emblème de l’engagement résolu de la communauté internationale envers les femmes afghanes, soumises au régime le plus oppressif du XXIème siècle, et par extension, envers toutes les femmes opprimées. Ensuite, elles démontrent l’universalité de la justice internationale. M. Khan l’affirme sans équivoque : « Nous soutenons que l’interprétation de la charia par les Talibans ne saurait en aucun cas justifier la privation des droits humains fondamentaux ou la perpétration de crimes relevant du Statut de Rome« . Ainsi, nul statut, qu’il soit religieux ou politique, ne saurait soustraire quiconque à la juridiction de la CPI. Enfin, cette démarche réaffirme la primauté et l’inviolabilité du droit international et du droit international humanitaire. Quiconque en bafoue les principes devra inexorablement rendre des comptes devant la justice. Un message pour les victimes comme pour les bourreaux. À cette première lueur d’espoir s’ajoute la perspective d’autres mandats d’arrêt contre de hauts responsables talibans, dans un contexte plus large de violations des droits humains, incluant « le meurtre, l’emprisonnement, la torture, le viol et d’autres formes de violences sexuelles, la disparition forcée ainsi que d’autres actes inhumains« .
Quiconque chercherait, par le biais d’écrits ou de déclarations médiatiques, à relativiser ou à maintenir un regard critique – prétendument « réaliste » – fait preuve d’une audace déplaisante. Parce que M. Khan le rappelle : « Avec ces nouvelles demandes, mon Bureau entend afficher sa détermination à poursuivre les auteurs de crimes liés au genre, y compris la persécution fondée sur le genre, et à en faire une priorité absolue« . Les femmes afghanes peuvent à tout le moins espérer. Elles en ont le droit, un droit que nul ne peut leur ôter, pas même ceux qui, sous couvert de prudence ou de pessimisme, voudraient ternir cet élan de justice.
La dernière phrase du Procureur de la CPI incarne le message d’espoir, de justice, de droit et de liberté qu’il convient de transmettre aux femmes afghanes et aux personnes de la communauté LGBTQI+ : « Nous sommes résolument déterminés à tout mettre en œuvre pour que ces personnes ne soient pas oubliées et pour démontrer que, grâce à notre travail, à l’application effective et impartiale du droit international, toutes les vies humaines se valent« .

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