Elon Musk : Souffleur autoproclamé des partis politiques européens d’extrême droite

Elon Musk lors de son apparition impromptue à un rassemblement du parti d’extrême droite allemand AfD, le 25 janvier 2025. Source : Capture d’écran de la vidéo CNN.

Cinq jours seulement après avoir effectué un salut nazi lors de l’inauguration du second mandat présidentiel de Donald Trump, Elon Musk est intervenu en live devant 4,500 sympathisants de l’Alternative für Deutschland (AfD) à Halle, en Allemagne, le 25 janvier 2025. Empreint d’une ardeur débordante, arborant un sourire hollywoodien et un « thumbs up » digne d’un père comblé, son soutien pour le parti politique d’extrême droite allemand a culminé avec cette déclaration : « Je pense que vous êtes vraiment le meilleur espoir pour l’Allemagne« . Un observateur non averti pourrait aisément confondre ce milliardaire de la tech avec un éminent politologue américain spécialiste des affaires allemandes. Or, Musk est avant tout un businessman de l’industrie technologique, et désormais le futur ministre de l’efficacité gouvernementale américaine (surnommé « Doge »). Rappelons que ce nouveau département, fruit de la seconde présidence Trump, a pour mission de « démanteler la bureaucratie gouvernementale, réduire les réglementations excessives, diminuer les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales« . Musk est donc censé se circonscrire, stricto sensu, à la politique intérieure américaine. Pourtant, il semble étendre son champ d’action à l’efficacité gouvernementale européenne, une « initiative » qu’il serait difficile d’attribuer à un malentendu ou un acte de bienfaisance. En réalité, il s’agit d’une instrumentalisation de son capital financier, de son arsenal numérique et de sa fonction nationale en un levier d’ingérence internationale. De fait, son apparition au rassemblement de l’AfD constitue l’apogée d’un soutien qui s’est cristallisé en décembre 2024, mais dont les prémices remontent à septembre 2023.

Parallèlement, au Royaume-Uni, l’implication de Musk dans la politique nationale revêt un caractère encore plus direct. Nigel Farage, leader du parti d’extrême droite Reform, a ouvertement sollicité le soutien financier du milliardaire américain lors d’un entretien téléphonique avec celui-ci. En outre, un accord de sécurité d’une valeur de 1,5 milliard d’euros aurait été conclu entre la Première ministre italienne Giorgia Meloni (encore une figure européenne d’extrême droite) et SpaceX, l’entreprise aérospatiale de Musk. Ses manœuvres s’inscrivent dans une dynamique de montée en puissance des mouvements d’extrême droite en Europe. Récemment, l’AfD est arrivée en première position en Thuringe avec 33 % des voix, et en deuxième position en Saxe avec plus de 30 % des voix lors des élections régionales de septembre 2024. À côté, le Reform Party a consolidé sa présence au Parlement britannique en juillet de la même année avec 14,3% des voix. De telles ingérences dans le paysage politique européen sont d’une gravité particulière en ce qu’elles visent à soutenir des formations politiques eurosceptiques. L’AfD se distingue par les déclarations controversées de ses dirigeants, oscillant entre antisémitisme, islamophobie et rhétorique antidémocratique. L’influence de Musk, associée à ses vastes ressources financières et médiatiques, pourrait avoir des conséquences majeures sur les élections prévues en Allemagne et au Royaume-Uni en 2025…

Il est essentiel de décrire la situation de la manière la plus élémentaire possible pour en mesurer l’aberration : l’Europe fait face à une ingérence politique de la part d’un milliardaire situé de l’autre côté de l’Atlantique. Cette réalité souligne la nécessité impérieuse pour l’UE de réguler l’influence des magnats de la technologie dans la politique européenne. Pourtant, l’UE n’est pas démunie face à ce défi. Le règlement européen sur les services numériques (DSA), adopté le 19 octobre 2022, établit déjà « un ensemble de règles pour responsabiliser les plateformes numériques et lutter contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables ou de produits illégaux« . Le réseau social X d’Elon Musk, anciennement Twitter, figure parmi les dix-neuf grandes plateformes en ligne soumises à cette réglementation européenne. De plus, depuis 2015, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) s’efforce de contrer les menaces liées à la manipulation et à l’ingérence étrangères de l’information (FIMI). Néanmoins, malgré l’existence d’un cadre législatif et d’initiatives telles qu’EUvsDisinfo, Musk continue de bénéficier d’une tribune pour s’exprimer sur des questions de politique intérieure européenne qui ne relèvent pas de sa compétence. La question qui se pose est donc : pourquoi cette situation persiste-t-elle ? Sous couvert de liberté d’expression, Musk emploie un discours politique controversé pour sonder et préparer le terrain à une action concrète (favoriser la victoire de l’extrême droite en Europe ? Affaiblir l’UE, voire provoquer sa division ?). Concrètement, Musk cherche à voir si l’UE est capable de maintenir sa démocratie et son pouvoir réglementaire. Cette stratégie habile place l’UE dans une position délicate : comment réagir face à quelqu’un qui, en apparence, ne fait « qu’exprimer son opinion politique » ? Musk exploite cette zone grise, l’UE doit donc voir au-delà des mots et percevoir le projet d’influence mûrement réfléchi de Musk. Il dispose des moyens nécessaires pour le mettre en œuvre, à l’UE de lui retirer tout terrain propice à ce projet. Il sera inutile de se lamenter face à une éventuelle victoire de l’AfD ou d’une majorité parlementaire de Reform alors que les prémices d’une ingérence sont déjà visibles (intérêts économiques, article, influence médiatique). Les médias et les experts ont rempli leur rôle en mettant en lumière cette ingérence ; il incombe désormais à l’UE de répondre de manière unie et assertive.

Je vous renvoie vers le commentaire de Rym Momtaz pour le think tank Carnegie Endowment for International Peace, où elle résume tout l’enjeu en écrivant : « D’un point de vue strictement juridique, Elon Musk n’a commis aucun délit ; il ne fait qu’exprimer une opinion et apporter un soutien politique. Mais ce qui est légal n’est pas toujours légitime. Sous couvert de liberté absolue, Musk ouvre la voie à l’érosion de notre État de droit« .

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