Deux recours contre l’État français face à la situation critique des sans-abri

Ce jeudi 13 février 2025, le Collectif des Associations pour le Logement attaque en justice l’État français pour manquement aux obligations légales en matière d’hébergement et de logement vis-à-vis des sans-abri et des mal-logés. Ce groupe, composé de quarante organismes associatifs, a ainsi déposé deux recours : concrètement, il est reproché à l’État de ne respecter ni la loi sur l’hébergement d’urgence des sans-abri, ni le droit au logement opposable (DALO). Le Collectif entend demander réparation pour le préjudice moral – la violation du droit au logement allant en opposition avec l’essence même de ce pour quoi ces associations sont créées – et matériel – toutes les dépenses additives faites pour loger les individus à défaut de ce que devrait fournir l’État censé financer ces organismes.
Les requêtes et les accusations du Collectif se fondent sur la confrontation entre ce que dit le droit français et ce que constatent les travailleurs sociaux. D’une part, le Code de l’action sociale et des familles dispose que « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence », tandis que le DALO établit depuis 2007 que les publics reconnus prioritaires doivent être relogés dans un délai de quatre à six mois maximum. D’autre part, les chiffres officiels rapportent que le nombre de places dans les hébergements d’urgence est de 203 000 à l’heure actuelle, un chiffre certes record, mais trop éloigné des 350 000 sans-abri recensés en France en 2024 ; en parallèle, près de 100 000 ménages n’ont pas été relogés conformément aux délais prévus par le DALO depuis sa mise en place, et un tiers des demandes n’ont pas abouti, soit en raison d’un rejet administratif, soit par manque de logements disponibles. En conséquence de ces observations, l’État français ne respecte décidément pas le principe d’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence, et est régulièrement en défaut d’application des lois. Les récentes actualités de déplacement des sans-abri de région parisienne vers la périphérie lors des Jeux de l’été dernier en sont un indice : la réalité du terrain est sans équivoque quant à la dégradation continue subie par le secteur de l’hébergement d’urgence.
Les dernières années ont aussi été celles de la progressive avancée des critères de priorisation pour l’allocation des places d’hébergement. Les femmes enceintes de plus de six mois et les familles avec de jeunes enfants ont en principe plus de chance de se voir offrir une place, si rare soit-elle. Autrement dit, plutôt qu’ouvrir davantage de places et donner davantage de moyens aux organismes en charge, l’État adapte bon gré mal gré un système déjà en détresse, une telle hiérarchisation de la misère amenant mécaniquement à exclure un nombre croissant de sans-abri, mettant par la même occasion les travailleurs sociaux dans une posture difficile et dépassant bien souvent leurs compétences.
Outre le défaut de la disponibilité de l’accueil, sa durée est également problématique. De nombreux centres d’hébergement sont contraints d’accueillir les sans-abri pendant une semaine, afin que les places tournent plus rapidement. Un tel délai donne un répit relatif aux arrivants et permet aux services sociaux d’entamer le dialogue et les démarches visant à améliorer leurs conditions de vie (obtenir des aides, poursuivre des tâches administratives, etc.), mais est bien trop court pour assurer un suivi durable. Aussi est-il fréquent de retrouver le même sans-abri à quelques mois d’intervalle dans le centre d’hébergement, pour lequel le travail est à reprendre du début. L’écueil initial est inchangé : il ne suffit pas de raccourcir les séjours pour accueillir plus vite, il faut ouvrir plus de places, et les attribuer sur une durée plus longue. Les établissements qui accueillent sur un temps plus long en sont la preuve, puisque leur accueil entraîne des reprises d’emploi plus nombreuses, et par conséquent la possibilité de se loger.
À l’heure où la Cour des comptes tire le signal d’alarme (rapport publié ce jour) exhortant à absolument limiter des dépenses publiques « en roue libre », le Collectif s’engage dans un bras de fer extrêmement captivant en matière de droit : il rappelle que la pression des acteurs sociaux sur la sphère étatique est encore possible. On peut y voir un écho avec l’accusation et la condamnation de l’État français par des ONG en 2021 pour non-respect des engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES), l’Affaire du Siècle. Il peut être intéressant de remarquer que parmi les quatre cabinets soutenant le Collectif, deux avocats faisaient partie de ladite affaire qui a marqué la justice française. Pourquoi ne pas recommencer ?
L’objectif d’une telle condamnation est simple : il s’agit d’obliger l’État à être tenu juridiquement responsable et contraint de prendre des mesures garantissant le respect des obligations mises à sa charge. Le Collectif a d’ores et déjà fait ses propositions, parmi lesquelles on retiendra notamment : la création de nouvelles places en hébergement d’urgence, la fin du classement par critère de vulnérabilité, la construction de nouveaux logements sociaux, et la mobilisation du parc privé. Faire pression sur l’État en faveur d’un droit négligé est loin d’être aisé ; la première marche est néanmoins gravie.

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