« Un silence assourdissant » : le nouveau rapport d’Amnesty International dévoile l’ampleur des crimes contre l’humanité perpétrés par la Russie

Alors que les États-Unis se désolidarisent de l’Ukraine (gel de l’aide militaire et interruption du partage de renseignements) et se rapprochent de la Russie (intensification des pourparlers avec Vladimir Poutine et pause dans la cyber-offensive américaine), Amnesty International publie le 4 mars 2025 un rapport accablant sur les crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par la Russie envers le personnel militaire et civil ukrainien en captivité. Ce document est un rappel à Washington que la victime est l’Ukraine, l’agresseur la Russie, et que cette guerre constitue une violation du droit international et du droit international humanitaire (DIH).
Le rapport offre d’abord un aperçu du cadre juridique international avant de présenter les crimes et les chiffres, permettant ainsi au lecteur de mesurer l’envergure des violations russes du DIH et du droit international relatif aux droits de l’Homme. Ce cadre s’appuie sur plusieurs textes fondamentaux :
- Les Conventions de Genève, notamment la troisième relative au traitement des prisonniers de guerre et la quatrième relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre
- Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
- La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
- La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées
Ces violations concernent deux catégories spécifiquement protégées par le DIH : les civils d’une part, et les prisonniers de guerre d’autre part, ces derniers étant définis comme « les membres des forces armées tombés aux mains de l’ennemi au cours d’un conflit armé international » (p. 4). Dans les faits, les atrocités perpétrées contre les prisonniers de guerre ukrainiens incluent des détentions incommunicado prolongées (1), des exécutions sommaires (2), des refus délibérés d’assistance médicale (3) et diverses pratiques systématiques de torture (4). Comme le souligne Amnesty International :
1. Refuser au détenu tout contact avec l’extérieur (avocat, famille, juridiction indépendante, etc.) constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Vingt-quatre des quarante-trois familles de prisonniers de guerre confirmés (56%), interviewées par Amnesty International, ont déclaré n’avoir reçu aucune communication de leurs proches durant leur captivité (p. 11).
2. Le Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien affirme que le Bureau du procureur général a documenté 177 exécutions sommaires, dont 109 en 2024. L’élimination délibérée de prisonniers de guerre, de civils et de « personnes hors de combat » constitue un crime de guerre manifeste (p.13).
3. D’après les observations du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, les prisonniers de guerre ont non seulement été privés de soins médicaux essentiels, mais également punis pour en avoir sollicité. Il s’agit, sans équivoque, d’une forme avérée de torture et de traitement inhumain et dégradant (p.14).
4. La mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine (ONU) rapporte que 97 % des anciens prisonniers de guerre interrogés ont subi des actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Parmi ces violences systématiques figurent : des passages à tabac, des électrochocs, des brûlures délibérées et des agressions sexuelles, incluant des viols (p.15).
Amnesty International relève ainsi trois garanties fondamentales inscrites dans la Troisième Convention de Genève dont l’application n’est pas respectée par la Russie : le rapatriement des prisonniers de guerre gravement malades ou blessés et l’établissement de commissions médicales mixtes (Articles 109, 110 et 112), la garantie sans entrave de la correspondance avec l’extérieur (Article 71) et l’accès des organisations humanitaires aux endroits de détentions (Article 126). Par ailleurs, l’organisation signale que la Russie est tenue de notifier au Comité International de la Croix-Rouge (CICR) l’identité de tous les prisonniers de guerre actuellement détenus (Article 122).
Seulement, ces crimes touchent également les civils ukrainiens enregistrés comme « disparus dans des circonstances particulières », soit 14 000 personnes selon les derniers chiffres de septembre 2024 (OHCHR), « en réalité détenues en Russie ou dans les territoires occupés de l’Ukraine » (p.20). Ces civils sont victimes d’arrestations arbitraires (1), de disparitions forcées (2), de torture et d’autres mauvais traitements en détention (3). Or, Amnesty International rappelle que les civils en temps de conflit armé sont définis comme des « personnes protégées » en vertu de l’article 4 de la quatrième Convention de Genève. Amnesty International écrit:
1. Les arrestations arbitraires peuvent être assimilées aux crimes de guerre de détention illégale et de déni du droit à un procès équitable (p.25).
2. L’organisation ukrainienne de défense des droits humains ZMINA a documenté au moins 562 cas de disparitions forcées entre février 2022 et juin 2023. Les victimes étaient majoritairement des militants civiques et leurs proches, mais aussi des représentants des autorités locales, des enseignants et des journalistes (p.25).
3. La Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine (IICIU) a rapporté en 2024 que la torture dans les centres de détention en Russie et dans les territoires occupés d’Ukraine était généralisée et systématique, la majorité des victimes étant des civils (p.26).
« Amnesty International considère que les actes susmentionnés, à savoir les disparitions forcées et la torture, ainsi que les crimes de violence sexuelle et d’ emprisonnement, violent les règles fondamentales du droit international et constituent des crimes contre l’humanité » (p.27).
Ce rapport s’inscrit dans la lignée des nombreux autres (ONU ou Human Rights Watch) dénonçant les crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par la Russie et corrobore le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre Vladimir Poutine. Malheureusement, l’orientation diplomatique du second mandat de Trump ne présage rien de favorable pour l’Ukraine, ses prisonniers de guerre et ses civils captifs. D’autres rapports viendront sans doute s’ajouter à cette pile, jusqu’à ce que le poids des preuves devienne « suffisamment » accablant pour contraindre les dirigeants à prendre les mesures qui permettront à l’Ukraine de gagner et à Vladimir Poutine d’être traduit en justice.

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