Mort de Mario Joseph, « le plus éminent avocat haïtien des droits de l’Homme«

Le 1er avril 2025, Mario Joseph est décédé à l’âge de 62 ans d’un accident de voiture survenu le week-end dernier, laissant derrière lui 25 ans de travail inestimable en faveur des droits de l’Homme. « Le mouvement mondial des droits de l’Homme a perdu un leader inspirant, à un moment où la notion même de ces droits est largement menacée, » a déclaré Brian Concannon, avocat, militant et ami de longue date. Pour honorer son travail et sa mémoire, il se doit de revenir sur le parcours exceptionnel de cet éminent philanthrope.
Diplômé de l’École normale supérieure d’Haïti et de la faculté de droit des Gonaïves, Mario Joseph travaille d’abord pour la Commission Paix et Justice de l’Église catholique avant de prendre la direction du Bureau des avocats internationaux en 1996, poste qu’il a occupé pendant près de trente ans. Parce qu’il « a appris de première main comment l’incapacité à faire respecter les droits politiques, civils, économiques et sociaux fondamentaux condamne les pauvres à des générations de pauvreté, » son approche était centrée sur les victimes, visant à forcer l’ouverture du système judiciaire haïtien à la majorité démunie du pays. Malgré des menaces de mort persistantes qui ont contraint sa famille à demander l’asile aux États-Unis, Mario Joseph a refusé d’abandonner sa mission. Tout au long de sa carrière, il a défendu et émancipé les victimes lors de procès historiques. (massacre de Raboteau en 2000, l’action en justice contre l’ONU en 2012, et les poursuites engagées contre l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier en 2011). Il affirmait que « lorsque l’État de droit n’existe pas, il faut le construire », et c’est précisément ce qu’il a accompli. Son travail extraordinaire a été reconnu par de prestigieuses distinctions telles que le Katharine and George Alexander Law Prize et le Judith Lee Stronach Human Rights Award (les deux en 2009).
Le procès Raboteau (2000)
Selon Brian Concannon dans « Justice for Haiti : The Raboteau Trial (1er juin 2001) », Raboteau était un quartier pauvre mais politiquement actif qui a notamment joué un rôle clé dans les manifestations de 1985 qui ont conduit au départ du dictateur Jean-Claude Duvalier. Après le coup d’État de 1991 contre le président démocratiquement élu Jean-Bertrand Aristide, les habitants de Raboteau ont protesté, mais ont été victimes d’une violente répression. Du 18 au 22 avril 1994, « les troupes de l’armée et les paramilitaires ont commencé à tirer. Ils sont entrés dans les maisons, ont enfoncé les portes, volé et détruit des biens. Ils ont terrorisé les occupants. Jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants ont été menacés, battus, forcés à se coucher dans des égouts à ciel ouvert et arrêtés. » S’ensuivit directement un procès qui a duré six semaines et s’est achevé en novembre 2000 par la condamnation de 53 accusés, dont 37 in absentia. L’affaire Raboteau a marqué une rupture brutale avec une longue tradition d’impunité en Haïti.
Financé par le gouvernement haïtien, Mario Joseph a commencé à travailler sur l’affaire dès 1996 en préparant des plaintes, intentant des procès devant les tribunaux haïtiens, rédigeant des pétitions et des rapports internationaux, menant des actions de sensibilisation auprès des médias, rédigeant des articles scientifiques et mobilisant des militants haïtiens et leurs sympathisants. Les procureurs ont été aidés dans la préparation de l’affaire par le Bureau des Avocats Internationaux. « La pierre angulaire de la stratégie du BAI était la procédure ‘partie civile’ qui, dans le système français adopté par Haïti, permet aux victimes de réclamer des dommages-intérêts. » Les dommages civils s’élevaient à 43 millions de dollars américains (1 milliard de gourdes).
Georges c. Nations Unies
En 2013, Mario Joseph s’engage dans une action en justice historique contre les Nations unies en raison de leur responsabilité dans l’épidémie dévastatrice de choléra en Haïti, représentant des milliers de victimes dans ce qui est devenu une affaire d’envergure internationale. L’épidémie a débuté en octobre 2010 lorsque les Nations Unies auraient contaminé la principale rivière d’Haïti en y déversant les eaux usées infectées par le choléra dans le cadre de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Cette épidémie de choléra a été la pire de l’histoire contemporaine, avec plus de 820 000 cas et près de 10 000 décès. En novembre 2011, 5 000 victimes ont déposé des plaintes auprès des Nations unies pour demander : une juste compensation pour leurs blessures ; des excuses publiques et la reconnaissance de leur responsabilité ; des investissements dans l’eau, l’assainissement et les infrastructures de santé afin d’éliminer le choléra d’Haïti ; et la création d’une commission permanente de réclamation. Leurs demandes ayant été jugées « non recevables », en octobre 2013, le Bureau des Avocats Internationaux (BAI), l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti et le cabinet d’avocats Kurzban, Kurzban, Weinger, Tetzelli & Pratt (KKWTP) intentent une action en justice contre les Nations unies devant le tribunal fédéral de New York au nom de toutes les personnes haïtiennes blessées ou tuées par le choléra. « L’action en justice demandait un redressement déclaratoire ainsi que des dommages réels, injonctifs, compensatoires et punitifs, y compris la remise en état des voies d’eau et la fourniture d’un assainissement adéquat, dont 2,2 milliards d’euros nécessaires pour éradiquer le choléra. » La plainte de 67 pages détaillait les preuves montrant que l’ONU savait ou aurait dû savoir que ses pratiques sanitaires imprudentes présentaient un risque élevé. L’argument principal du BAI reposait sur l’idée que l’immunité de l’organisation (i.e. Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, 1946) ne devait en aucun cas être interprétée comme de l’impunité.
Comme l’écrivait Jonathan Clark en 2016, « Mario Joseph est un modèle d’excellence non seulement pour sa représentation du peuple haïtien mais aussi des personnes démunies partout dans le monde qui n’ont pas voix au chapitre concernant leur destin. Pour son devoir et son mouvement au service des autres, il mérite d’être reconnu non seulement comme un homme du peuple mais aussi comme une figure héroïque. »

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