Robert Fico continue de flirter avec l’autocratisme : menace de coup d’État constitutionnel ?

Caricature d’Olivier Schopf : « Des démocrates irréprochables », ironise Vladimir Poutine en s’adressant à Peter Pellegrini et Robert Fico. Source : Cartoon Movement

Ivan Mikloš, ancien ministre des Finances et président du think tank MESA 10, n’est guère alarmiste lorsqu’il accuse Robert Fico de menacer la démocratie slovaque d’un « coup d’État constitutionnel », en réaction aux déclarations controversées du Premier ministre dans l’émission Sobotné dialógy (« Dialogues du samedi », 17 mai 2025). En effet, Robert Fico a affirmé que « le libéralisme et l’idée de démocratie libérale ont complètement échoué, ils sont défaillants, et nous devons réfléchir à la manière de rendre les méthodes démocratiques de gouvernance de l’État plus efficaces. » Si ses propos s’inscrivent pleinement dans la rhétorique antidémocratique du Premier ministre, ils prennent une tournure particulièrement inquiétante lorsqu’il ajoute : « Nous devrions nous inspirer de la Chine et du Vietnam, car ces pays planifient les choses et les mettent en œuvre. (…) mais chez nous, la continuité est rompue tous les quatre ans lorsqu’un nouveau gouvernement entre en fonction.» En suggérant implicitement que l’alternance politique démocratique constitue un obstacle à l’efficacité gouvernementale, ces déclarations révèlent une dérive illibérale assumée, où l’efficacité présumée des régimes autocratiques est présentée comme un modèle à suivre, remettant ainsi en question les fondements mêmes de la démocratie.

« Ces mots sont très, très dangereux. Sortis de la bouche du Premier ministre, ils constituent une menace directe pour l’ordre constitutionnel et pour les droits et libertés de chaque citoyen garantis par la Constitution. » – Ivan Mikloš

La Constitution slovaque établit, à l’article 73 (1) du Titre V, que « le Conseil national de la République slovaque (Parlement) se compose de 150 députés élus pour un mandat de quatre ans. » Dès lors, lorsque Robert Fico conteste ce mandat quadriennal, c’est par extension celui du Premier ministre, figure institutionnelle plus centrale que celle du président dans une démocratie parlementaire comme la Slovaquie. Par ailleurs, Ivan Mikloš souligne que, même si la Constitution slovaque n’utilise pas explicitement l’adjectif « libéral », les valeurs et principes contraignants de la démocratie libérale se retrouvent dans de nombreux articles de la Constitution et jusque dans son préambule. Il est dès lors tout à fait justifié et réaliste de craindre un coup d’État constitutionnel après le discours de Fico, qui s’attaque à un texte « s’efforçant de mettre en œuvre une forme de gouvernement démocratique, garant de la liberté, du développement de la culture spirituelle et de la prospérité économique » (Préambule). Notons également une coïncidence favorable aux propos de Robert Fico, lors du discours du président slovaque prononcé quelques jours plus tard, le 28 mai 2025, à l’occasion de son Rapport sur l’état de la République : « Chaque gouvernement fixe ses objectifs d’une élection à l’autre et les réalise avec plus ou moins de succès. Ce qui nous fait cruellement défaut, c’est une vision et une perspective de long terme pour le pays. »

Malheureusement, l’histoire nous a maintes fois enseigné que l’avènement des régimes autocratiques s’accompagne souvent de discours prônant un changement radical. Ce qu’a déclaré Robert Fico ce samedi ne doit pas être pris à la légère, il faut y voir un signe avant-coureur d’un basculement, les prémices d’une rupture démocratique, voire l’amorce d’un coup d’État constitutionnel. Car le XXIe reste celui de tous les possibles, la prophétie de Francis Fukuyama ne s’étant pas accomplie. Même un pays membre de l’Union européenne (UE) comme la Slovaquie n’est pas à l’abri de rejoindre la Biélorussie de Loukachenko, la Hongrie d’Orbán (cobaye ultime des lignes rouges qu’un État du Conseil de l’Europe et de l’UE peut franchir impunément) ou la Serbie de Vučić. Un nouveau V4 qui fait froid dans le dos. Enfin, une interrogation me taraude l’esprit : pourquoi remettre en question la durée du mandat d’une fonction qu’il a occupée pendant 12 ans (4 mandats) et pour laquelle il a été élu démocratiquement ? De quoi a-t-il « peur » si l’alternance politique l’a porté au pouvoir plusieurs fois ?

Je propose de brièvement décortiquer les propos du Premier ministre afin de saisir l’ampleur du dessein de Robert Fico. Deux dangers peuvent être relevés dans les déclarations de Robert Fico, outre sa remise en cause de l’alternance politique. Premièrement, il prend pour exemples la Chine et le Vietnam, deux dictatures communistes. Cela constitue déjà un premier signe que le Premier ministre slovaque aspirerait à ces modèles étatiques. Si les régimes autocratiques ne constituent pas une nouveauté historique, leur diversité à travers les époques facilite grandement le processus d’inspiration. Chaque aspirant à ce type de pouvoir peut sélectionner les références qui correspondent à ses objectifs politiques. L’Empire romain était, pour Adolf Hitler, « à la fois le précurseur et le précepteur du grand Reich nazi » ; Staline lisait Gengis Khan, le fondateur de l’Empire mongol ; et Isaias Afwerki, le dictateur érythréen, a été profondément influencé par sa formation maoïste. Pour Robert Fico, il semblerait que ce soient la Chine de Xi Jinping et le Vietnam du défunt Nguyễn Phú Trong. Deuxièmement, l’affirmation que « le libéralisme et l’idée de démocratie libérale ont complètement échoué » relève d’une stratégie rhétorique éprouvée : délégitimer le système en place pour légitimer une rupture radicale. Cette logique a présidé à de nombreuses transitions autoritaires : le Troisième Reich allemand s’est substitué à la République de Weimar, la République populaire de Chine a remplacé la République de Chine de Nankin, l’URSS a succédé à l’Empire russe.

La graine est semée, il reste à voir comment l’idée d’une réforme du mandat parlementaire, et par conséquent d’une réforme constitutionnelle, va progressivement pénétrer les esprits des citoyens slovaques et des médias jusqu’à devenir une nécessité. Ce n’est pas anodin que Gustave Le Bon ait écrit dans Psychologie des foules (1895) : « L’autoritarisme et l’intolérance constituent pour les foules des sentiments très clairs, qu’elles supportent aussi facilement qu’elles les pratiquent. (…) Le type du héros cher aux foules aura toujours la structure d’un César. Son panache les séduit, son autorité leur impose et son sabre leur fait peur. »

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