Après la Suisse et l’Allemagne, la France condamnée à son tour par la CEDH pour contrôle d’identité discriminatoire

Contrôle d’identité près du Palais Vivienne à Paris (France), le 6 avril 2021. Source : Thomas COEX/AFP via Getty Images

Il s’agit d’une victoire importante pour l’un des six ressortissants français requérants qui avaient saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 9 mai 2017 sur le fondement de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans la requête n°35844/17, Mounir Seydi, Dia Abdillahi, Bocar Niane, Karim Touil, Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah dénonçaient les contrôles d’identité auxquels ils avaient été soumis entre 2011 et 2012, estimant qu’ils avaient été ciblés en raison de leur origine africaine ou nord-africaine. Pour étayer leur requête, ils invoquaient l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la discrimination), combiné aux articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 13 (droit à un recours effectif) ainsi qu’à l’article 2 (liberté de circulation) du Protocole n° 4. Le 26 juin 2025, par son arrêt Seydi et autres c. France, la CEDH a jugé que seuls les trois contrôles d’identité successifs subis par M. Karim Touil en centre-ville de Besançon, en l’espace de dix jours, n’étaient pas fondés sur « une justification objective et raisonnable » (§ 128) rappelés dans Basu (§§ 31 à 35), Muhammad (§§ 64 à 68) et Wa Baile (§§ 89 à 92). La Cour en a conclu à la violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, reconnaissant ainsi le caractère discriminatoire des pratiques dénoncées. En réparation du dommage moral subi, l’État français est condamné à verser 3 000 euros à M. Touil (§ 144).

« Il existe, dans le cas de M. Karim Touil, une présomption de traitement discriminatoire à son égard et que le Gouvernement n’est pas parvenu à la réfuter. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 à l’égard de M. Karim Touil. » (§§ 129 à 130)

Cet arrêt de la CEDH vient clore « plus d’une décennie de combat judiciaire » pour M. Touil. Au préalable, les six requérants (ceux qui n’avaient pas obtenu gain de cause) avaient vu leurs demandes rejetées par le tribunal de grande instance de Paris le 2 octobre 2013, puis par la cour d’appel le 24 juin 2015, et enfin par la Cour de cassation le 9 novembre 2016 au motif qu’aucune faute lourde ni discrimination n’était établie. Or, en 2022, la CEDH se prononçait pour la première fois sur « le caractère discriminatoire de contrôles d’identité effectués dans le cadre d’opérations de routine, » en Espagne (Muhammad c. Espagne) et à la frontière germano-tchèque (Basu c. Allemagne). Dans les arrêts Basu c. Allemagne (18 octobre 2022) et Wa Baile c. Suisse (20 février 2024), la Cour a conclu, à l’unanimité, à une violation de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme par les autorités nationales des deux pays. C’est sur cette jurisprudence récente que la Cour s’est appuyée dans l’affaire Seydi et autres c. France pour condamner, une nouvelle fois, le « contrôle au faciès » ou « profilage racial ».

À titre personnel, il m’apparaît pertinent de mettre en exergue deux éléments de cet arrêt de la CEDH. Tout d’abord, on peut saluer la rigueur des sept juges qui ont examiné les six cas avec impartialité, en tenant compte des éléments subjectifs propres à chaque requérant, tout en adaptant l’interprétation de la Convention aux circonstances concrètes. En appliquant le principe affirmanti incumbit probatio (« la preuve incombe à celui qui affirme »), la Cour n’a pu que faire droit à la requête de M. Touil, ce dernier ayant apporté des éléments de preuve étayés : « trois contrôles en moins de dix jours, dont le dernier s’est accompagné d’insultes de la part des policiers, de violences physiques et d’une privation de liberté, puisqu’il a été emmené dans un fourgon de police à l’issue du contrôle » (§ 60).

Leur décision repose également sur le principe selon lequel la preuve peut résulter d’un « faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants ». Cette approche offre une prise en compte plus large des formes et degrés de discrimination, en autorisant une appréciation globale et non restrictive des faits allégués. « Néanmoins, la Cour exclut expressément dans les arrêts Basu et Muhammad que tout contrôle d’identité relève nécessairement du champ d’application du droit au respect de la vie privée. Un seuil de gravité doit être franchi. » Dès lors, et une fois de plus, la Cour a conclu que les cinq autres requérants « n’ont pas apporté de commencement de preuve individualisé d’un traitement différencié à l’aide d’un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants à même de créer une présomption de traitement discriminatoire » (§§ 122 à 124 ; Muhammad, précité, § 102).

Ensuite, cet arrêt réitère l’importance et la nécessité du respect de l’État de droit, tout en démontrant que les demandes individuelles sont traitées avec le plus grand soin par la CEDH. Dans le cas de M. Touil, la Cour a donné raison à une violation des articles 14 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en relevant que le gouvernement français « n’a apporté pour aucun des trois contrôles de justification objective et raisonnable au choix de viser M. Karim Touil » (§ 128). D’autre part, elle constate que ces contrôles, qui s’apparentent au profilage racial ou contrôle au faciès, portent directement sur l’identité ethnique des personnes concernées et constituent ainsi une ingérence dans leur vie privée (stigmatisation et humiliation). Ces interventions étaient de surcroît fréquemment accompagnées d’insultes, de propos dégradants ou de menaces, renforçant le caractère attentatoire à leurs droits fondamentaux (§§ 11 à 15).

La complexité de cette jurisprudence est relevée par Robin Médard Inghilterra et Isabelle Rorive (2024), qui soulignent que le droit à la non-discrimination engage la responsabilité de l’État du fait des agissements de ses agents, mobilise des normes issues du droit international des droits humains, tout en soulevant des défis propres tels que l’usage du pouvoir discrétionnaire, l’absence de traçabilité des contrôles et la difficulté de prouver leur réalité comme leurs motivations.

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